Démembrements du droit de propriété en 2020?

VERS LA FIN DES DÉMEMBREMENTS DE PROPRIÉTÉ EN 2020 ?

Relégué à l’article 109 de la loi de finances pour 2019 afin de passer inaperçu, l’article L 64 A du LPF est pourtant loin d’instaurer des dispositions insignifiantes. Il offre une toute nouvelle définition des cas d’abus de droit qui devrait susciter l’inquiétude de nombreux praticiens et contribuables, notamment, dans le cadre de leur gestion patrimoniale.

Dans un contexte où la « chasse » aux fraudeurs fiscaux se fait de plus en plus prégnante, le législateur n’a de cesse d’étendre son champ d’application. Seront désormais constitutifs d’un abus droit les actes qui poursuivent :

  • Un but exclusivement fiscal,
  • Mais également un but principalement fiscal c’est-à-dire ayant pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé aurait normalement supportées.

Cette formulation déjà proposée en 2013 avait fait l’objet d’une censure par le Conseil Constitutionnel jugeant la notion trop imprécise et source d’insécurité. En 2019, la critique n’a pas changé mais, cette fois-ci, n’a pas été soumise à l’appréciation des Sages.

La substitution d’un simple mot ouvre pourtant un champ infini de possibilités. Concernant tout particulièrement le démembrement de propriété, cheval de bataille de l’administration fiscale ces dernières années, l’argumentaire développé jusque là par les services des impôts se heurtait à l’absence de but exclusivement fiscal. Mais qu’en sera-t-il désormais ?

Afin d’optimiser la transmission de patrimoine, un schéma couramment usité consiste pour un contribuable à transmettre, généralement à ses descendants, la nue-propriété d’un élément de son patrimoine, le donateur conservant l’usufruit du bien. La rétention de l’usufruit prépare la transmission de patrimoine tout en permettant au donateur d’en conserver la gestion, l’usage et les fruits, le plus souvent jusqu’à sa mort. Lors de la donation, l’assiette des droits d’enregistrement est minorée puisque assise uniquement sur la valeur de la nue-propriété qui augmente en fonction de l’âge de l’usufruitier. Lors du décès du donateur, le nu-propriétaire deviendra plein propriétaire du bien sans avoir à acquitter d’imposition supplémentaire, l’usufruit rejoignant la nue-propriété en franchise de droits. L’opération aura donc permis au donataire de devenir plein propriétaire de l’intégralité du bien en n’ayant réglé qu’une partie des droits.

Ce schéma échappait à la censure des tribunaux car au-delà de procurer une économie fiscale, il répondait également à une logique d’organisation patrimoniale, le donateur s’étant dessaisi d’une partie de ses prérogatives de propriétaire. Si le but de l’opération n’était pas exclusivement fiscal, il est loin d’être évident qu’une solution identique soit adoptée dès lors que la motivation de l’administration reposera sur le caractère principalement fiscal de la donation démembrée. Une balance devra donc être faite et il conviendra, notamment, que les droits, obligations et devoirs du nu-propriétaire soient conformes aux règles légales et aient une réelle effectivité.

Le 19 janvier dernier, dans un communiqué de presse Bercy précisait « en ce qui concerne la crainte exprimée d’une remise en cause des démembrements de propriété, la nouvelle définition de l’abus de droit ne remet pas en cause les transmissions anticipées de patrimoine, notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l’usufruit du bien transmis, sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives ». Cette position qui se veut rassurante est pourtant dépourvue de valeur juridique. Espérons donc qu’elle sera reprise par le législateur ou l’administration fiscale dans ses commentaires venant préciser les modalités d’application de la nouvelle loi.

Dans cette attente, il est important de souligner que l’article « incriminé » s’appliquera aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021 portant sur des actes réalisés à compter du 1er janvier 2020. Les actes effectués antérieurement ne devraient donc pas tomber sous le coup de ces dispositions.

Il convient par ailleurs de noter que la loi de finances pour 2019 a assoupli les règles relatives aux transmissions d’entreprises dites « Pacte DUTREIL ». Ces dispositions permettent, sous certaines conditions, une exonération de droits de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75 % de leur valeur, sur les parts ou les actions d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale transmises par décès ou entre vifs. La donation peut tant porter sur des titres en pleine propriété que démembrés.

L’année 2019 pourrait donc être celle de l’anticipation de la transmission de patrimoine.

En tout état de cause, le contenu du présent article ne saurait remplacer les recommandations qui pourraient être faites en fonction de la situation particulière de chaque cas. Toutes les informations fournies ne peuvent pas être considérées comme caractérisant un conseil juridique et/ou fiscal.